Au cours du développement embryonnaire, les cellules utilisent l’information contenue dans leur génome pour construire l’organisme. Cela implique une succession d’événements morphogénétiques au cours desquels les cellules se divisent, meurent, se déforment et se déplacent. C’est l’ordre et la combinaison spécifiques de ces événements qui construisent différentes espèces. Pour comprendre la morphogenèse, il faut prendre en compte à la fois la biologie évolutive, la génétique, la biologie cellulaire et la biophysique.
Dans mon équipe, nous nous concentrons sur les aspects mécaniques de la morphogenèse des Mammifères. Nous utilisons des outils génétiques, biophysiques et de la microscopie pour étudier la morphogenèse d’embryons de Mammifères.
Morphogenèse pré-implantatoire de l’embryon
Les étapes pré-implantatoires du développement conduisent à la formation d’un blastocyste, qui consiste en un épithélium enveloppant une cavité emplie de fluides et une masse cellulaire interne. Trois événements morphogénétiques clés interviennent dans la formation du blastocyste : la compaction, l’internalisation et la cavitation.
Développement pré-implantatoire
https://www.youtube.com/watch?v=VnMJGEuQHxs
Timelapse du développement pré-implantatoire d’un embryon de souris (une photo toutes les 15 minutes)

Au stade 8 cellules, la compaction est un processus contrôlé d’adhésion entre les cellules qui arrondit l’embryon. Comme dans le cas de la déformation d’une goutte de liquide, la compaction dépend de la tension de surface des cellules. La tension de surface de l’embryon augmente pendant le stade 8 cellules par tension des molécules corticales d’actomyosine. Au même moment, cette augmentation de la contractilité enclenche des contractions périodiques qui se déplacent à la surface des cellules. (Voir Pulsatile cell-autonomous contractility drives compaction in the mouse embryo.)
Au stade 16 cellules, celles-ci peuvent se trouver à l’intérieur ou à la surface de l’embryon. La division permettant de passer du stade 8 cellules au stade 16 cellules est fondamentale pour déterminer la position individuelle des cellules. Cette division peut être orientée (les cellules filles pouvant être poussées à l’intérieur ou à l’extérieur de l’embryon selon l’orientation du fuseau mitotique) et asymétrique (les cellules filles pouvant acquérir des composants spécifiques leur conférant différentes propriétés contractiles). Voir Asymmetric division of contractile domains couples cell positioning and fate specification. Ces propriétés contractiles différentes débouchent sur le tri auto-organisé des cellules entre la position interne et externe dans l’embryon. Voir Adhesion functions in cell sorting by mechanically coupling the cortices of adhering cells. Le positionnement des cellules détermine leur programme génétique et leur différenciation en tissu embryonnaire ou extra-embryonnaire. De façon intéressante, la mécanique cellulaire semble influencer cette différenciation. Voir Asymmetric division of contractile domains couples cell positioning and fate specification.La façon dont cela se produit reste cependant peu claire.
Internalisation
https://www.youtube.com/watch?v=Cqp5AeatbgE
Timelapse de l’internalisation d’une paire chimérique de cellules exprimant un marqueur de l’actine (LifeAct) en différentes couleurs (photos prises toutes les 15 minutes).
Au stade 32 cellules, une cavité se forme entre le trophectoderme et les cellules internes. Pendant ce processus, différentes lumières se forment et finissent par fusionner en une seule cavité. Au cours de sa croissance, les contacts entre les cellules du trophectoderme et celles de la masse cellulaire interne sont rompus.
Vagues de contraction corticales périodiques
Pendant la morphogenèse, la contractilité actomyosine est un moteur essentiel des changements de forme cellulaires et tissulaires. Bien que ces changements de forme paraissent continus, ils sont en réalité dus à des vagues de contraction qui se répètent de façon périodique. Ces événements contractiles cycliques sont conservés au cours de l’évolution et peuvent prendre différentes formes.
Contractions périodiques de l’embryon murin au stade 8 cellules
https://www.youtube.com/watch?v=EwlSJn4QtNo
Timelapse des contractions périodiques d’un embryon de souris au stade 8 cellules en l’absence de calcium (photos prises toutes les 5 secondes).
Dans les embryons de souris, les contractions périodiques débutent au stade 8 cellules, au démarrage de la compaction. Voir Pulsatile cell-autonomous contractility drives compaction in the mouse embryo.
Ondes corticales périodiques
https://www.youtube.com/watch?v=whiH9SwbJO8
Timelapse d’ondes de contraction corticales périodiques (photos prises toutes les 5 secondes). A gauche : contraste de phase. Au centre : LifeAct-GFP. A droite : membrane plasmique dont la courbure locale est soulignée en fausses couleurs.
Après la division asymétrique, les ondes corticales périodiques de contraction peuvent être utilisées pour prévoir quelles cellules sont destinées à être internalisées et à devenir des tissus embryonnaires. En effet, les blastomères extra-embryonnaires restent à la surface en raison de leur faible contractilité. Voir Asymmetric division of contractile domains couples cell positioning and fate specification.
Vagues périodiques de contraction après la division asymétrique
https://www.youtube.com/watch?v=PkdeZ8NC3Rs
Timelapse des vagues corticales périodiques de contraction (photos prises toutes les 5 secondes). Paire de cellules correspondant au stade 16 cellules résultant de la division asymétrique d’un blastomère isolé à partir d’un embryon au stade 8 cellules. Membrane visible en magenta et LifeAct-GFP en vert. Le blastomère non polarisé du dessus présente de fortes vagues de contractions corticales tandis que la cellule sœur polarisée (en dessous) reste immobile. Le blastomère polarisé entourera plus tard sa cellule sœur non polarisée, qui deviendra du tissu embryonnaire.
Mesurer les mécaniques cellulaires et tissulaires des embryons de Mammifères
Un protocole d’aspiration par micropipette peut facilement être couplé à de la microscopie confocale par fluorescence à haute résolution, ce qui permet de lier la mécanique cellulaire à des processus sub-cellulaires. Voir Adhesion functions in cell sorting by mechanically coupling the cortices of adhering cells.
L’aspiration par micropipette peut être utilisée pour mesurer la tension de surface et la viscosité des cellules et des tissus. Voir Pulsatile cell-autonomous contractility drives compaction in the mouse embryo.

Photographie d’un embryon au stade 8 cellules retenu par une micropipette (à gauche) pendant une expérience de mesure de la tension de surface. Les tensions de surfaces γ sont mesurées séquentiellement pour tous les blastomères en recherchant la pression critique P qui donne une déformation de la taille de la micropipette Rn et en mesurant l’angle de courbure de la cellule Rc. Les tensions de surface des blastomères en contact peuvent ensuite être utilisées pour calculer les tensions au niveau des contacts cellule-cellule en prenant en compte les angles de contact θ.
Une expérience de double aspiration par pipette permet de mesurer in vitro la force d’adhésion de cellules en contact. Voir Dual pipette aspiration: a unique tool for studying intercellular adhesion.
Mesure de la force de séparation
https://www.youtube.com/watch?v=i5UZ9eLquHA
Des progéniteurs de mésoderme de poisson zèbre sont mis en contact avant d’être séparés en éloignant les micropipettes reliées à chacun d’entre eux. La pression est progressivement augmentée dans la micropipette de gauche au cours de l’expérience.
En réalisant une double aspiration par pipette, les contributions relatives de la contractilité et de l’adhésion à la formation des contacts cellule-cellule peuvent être mesurées in vitro. Voir Adhesion functions in cell sorting by mechanically coupling the cortices of adhering cells.
Ce type de protocole permet également d’estimer in vitro les propriétés élastiques des molécules corticales d’actomyosine. Voir Active elastic thin shell theory for cellular deformations.