Introduction
De nombreuses études ont montré comment les réseaux de régulations moléculaire influent sur les propriétés mécaniques des cellules pour contrôler la forme des tissus. Le groupe d’Olivier Hamant pose la question de la rétroaction associée : comment les contraintes mécaniques impactent en retour le comportement des cellules au cours du développement. Il est maintenant bien établi que les forces mécaniques contribuent à de nombreux aspects de la biologie de la cellule dans les systèmes animaux, que ce soit à la mise en place de l’identité cellulaire (e.g. Engler et al., 2006), la division de la cellule (e.g. Théry et al., 2006), ou la polarité cellulaire (e.g. Houk et al., 2012). La plupart de ces études se sont focalisées sur des cellules en culture, ne considérant donc pas les cellules au sein d’un tissu. Pourtant l’existence des interactions cellules-cellules au sein des tissus implique que la communication et la propagation des forces mécaniques entre cellules adjacentes contribue à la forme des tissus et donc au développement.
Des études pionnières réalisées sur l’étude des disques imaginaux de drosophiles, suggèrent que les contraintes mécaniques synchronise les divisions cellulaires (Hufnagel et al., 2007) au sein du tissu et que les lignes de tensions agiraient comme des frontières séparant différents domaines fonctionnels (Landsberg et al., 2009). Il a été montré que le profil d’expression du gène twist dépend des contraintes mécaniques au sein de l’embryon de la drosophile (Farge, 2003). Parce que les cellules végétales sont collées les unes aux autres par leur parois et donc ne migrent pas, et parce que l’on n’observe pas de mort cellulaire dans les tissus jeunes, et parce que la mécanique des cellules végétales dépend essentiellement d’un seul paramètre, la paroi, les tissus végétaux représentent un système expérimental beaucoup pus simple pour explorer la contribution des contraintes mécanique au cours du développement.
Réalisations
En ré-examinant des précédents travaux réalisés entre autres par Paul Green, le groupe d’Olivier Hamant et ses collaborateurs ont démontré la capacité des cellules végétales à répondre aux contraintes mécanique en réorientant leurs microtubules au sein des tissus, reliant ainsi contraintes mécaniques, direction de la croissance et forme des tissus (Hamant et al., 2008; Verger et al., 2018). Ces résultats peuvent s’apparenter à la loi de Wolff connue dans les tissus osseux, puisque ces résultats démontrent que les cellules végétales se renforcent mécaniquement le long des lignes de contraintes maximales, comme les os. Ces travaux ont aussi permis d’identifier de nombreuses implications pour le développement des plantes, par exemple en révélant comment les tiges des plantes se vrillent par défaut (Landrein et al., 2013) ou que les contraintes mécaniques contribue à l’arrêt de croissance, et donc à la taille finale, des organes (Hervieux et al., 2016).
Un rôle des contraintes mécaniques comme permettant de promouvoir l’hétérogénéité de croissance entre les cellules adjacentes a également été identifié. Ce résultat est contre-intuitif puisqu’on pourrait penser que les cellules adjacentes essaieraient plutôt d’atteindre un compromis quand la croissance devient hétérogène. Ce maintien actif de l’hétérogénéité de croissance pourrait en fait faciliter la formation de gradients locaux de croissance, nécessaires à l’organogenèse (Uyttewaal et al., 2012). Plus généralement, la perception, voire l’amplification, des fluctuations de croissance, semble jouer un rôle clé dans la proprioception, c-à-d dans capacité des plantes à percevoir leur propre forme (Moulia et al., 2021).
Au-delà des microtubules, le groupe a aussi identifié un rôle des signaux mécaniques dans l’orientation des plans de division des cellules (Louveaux et al., 2016), dans la polarité cellulaire (Heisler et al., 2010), dans la composition membranaire (Stanislas et al., 2018), dans le contrôle du patron d’expression des gènes (notamment le gène STM, un régulateur central du méristème codant pour une protéine à homéodomaine(Landrein et al., 2015)) et dans la compaction de la chromatine. En particulier, les contraintes générées par le différentiel de croissance à la frontière entre méristème et organe conduisent à une compression physique des noyaux des cellules et à des modifications globales de la chromatine (Fal et al., 2021).
Le groupe étudie actuellement les voies de transduction associées. Une hypothèse centrale de l’équipe est la possibilité que les microtubules soient leur propre mécanosenseur(Hamant et al., 2019). Le développement de systèmes en cellule unique montre d’ailleurs que les microtubules peuvent s’orienter le long des tensions maximales en absence de paroi cellulaire (Colin et al., 2021). Dans le cadre de collaborations, un rôle inattendu d’acteurs impliqués dans la régulation de la chromatine a été révélé (Jensen et al., 2017) et un nouveau mécanosenseur impliqué dans la spécification des épidermes a été identifié (Tran et al., 2017). Des synergies existent entre signalisation hormonale et signalisation mécanique (Baral et al., 2021; Jonsson et al., 2021). Ce travail met en avant le rôle central de l’épiderme (Asaoka et al., 2021) et des conflits mécaniques dans la robustesse du développement (Hervieux et al., 2017; Trinh et al., 2021).
Projets
Ces recherches engendrent de nombreuses questions et perspectives : Quelles sont les spécificités des voies de mécano-transduction chez des organismes multicellulaires à parois ? Quelles sont les similarités avec les systèmes animaux ? Comment une déformation mécanique élastique peut-elle être traduite en une croissance plastique ? Cette mémoire implique-t-elle des mécano-récepteurs associés avec la paroi cellulaire et les modifications à long terme de la composition de la paroi ? Cette mémoire marque-t-elle aussi la chromatine ? Quels types de modifications épigénétiques sont mises en place sur les gènes mécano-sensitifs ? Est-ce que ces gènes sont induits par une déformation mécanique du noyau ?
À l’échelle du tissu, comment sont utilisées les forces mécaniques pour coordonner la croissance entre cellules adjacentes ? L’expression des gènes est-elle affectée par les contraintes mécaniques entre cellules adjacentes ? Est-ce que le timing et l’orientation des divisions cellulaires sont contrôlés par les déformations mécaniques des cellules voisines ? À l’inverse, est-ce que les cellules en divisions induisent des contraintes mécaniques qui ont un impact sur le comportement des cellules voisines ?
Au-delà de la croissance, est-ce que les signaux mécaniques contribuent à la détermination du destin cellulaire ? Est-ce que l’identité de l’épiderme est déterminée pour résister au stress mécanique généré par les cellules des couches sous-jacentes ? Une frontière d’expression génique est-elle aussi une frontière mécanique ? Comment la coordination de la croissance par le stress mécanique influence la robustesse des profils d’expression génique ? Est-ce que le stress mécanique contribue au maintien du destin des cellules de la tige ?